Alors que Jean-Michel
Blanquer, le nouveau ministre de l'Éducation nationale, a annoncé
vouloir restaurer le redoublement dès la rentrée prochaine, les
questions autour de son utilité reviennent sur la table.
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En France, un élève sur quatre a déjà redoublé au moins une classe. (Photo : DR) |
Va-t-on de nouveau
pouvoir conjuguer le verbe ''redoubler'' au présent ? Avec son
projet présenté aux syndicats enseignants le 8 juin
dernier, Jean-Michel Blanquer a marqué sa volonté d'infléchir la
politique éducative jusque là conduite par Najat Vallaud-Belkacem.
Le nouveau locataire de la rue de Grenelle entend, entre autres,
revenir sur le décret pris par sa prédécesseure en novembre 2014,
lequel entérinait le caractère « exceptionnel » du
redoublement. Selon lui, le redoublement doit redevenir possible afin
de personnaliser au mieux le parcours des élèves. « Ça ne
sert à rien de se voiler la face quand il y a un problème et que le
redoublement peut-être utile », expliquait-il notamment
dans une interview accordée à RTL.
Cette prise de position
soulève une fois de plus le débat autour de l'opportunité du
redoublement. Véritable seconde chance pour les uns, pratique
stigmatisante pour les autres, le redoublement fait l'objet d'un
débat que le temps n'a jamais réellement su trancher. La mesure ne
date pourtant pas d'hier : elle a été instaurée de facto
en 1833 par la loi Guizot qui prévoyait que tout élève ayant un
écart trop prononcé avec la moyenne de sa classe ne devait pas
pouvoir passer à l'étape suivante du parcours scolaire. Depuis, au
gré de la couleur politique des gouvernements successifs, le
redoublement n'a cessé de zigzaguer entre renforcement et
adoucissement. Qu'on se souvienne de la politique lancée en mars
1989 par Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation nationale, qui
prévoyait notamment de « limiter au maximum » les
redoublements. Politique qui touchera à son terme en janvier 2005
avec la nomination de François Fillon à la rue de Grenelle, lequel
décidera alors de « donner aux conseils de classe toute
latitude dans les décisions de redoublement ». Le décret
de 2014 et les annonces de Jean-Michel Blanquer ne sont, en réalité,
que les derniers épisodes d'un sempiternel feuilleton.
Une mesure contre-productive ?
Comme on pouvait s'y
attendre, le projet porté par le nouveau ministre de l'Éducation a
fait souffler un vent de protestation chez les anti-redoublement. Une
position clairement exprimée par Sylvain Connac, maître de
conférences en sciences de l'éducation à l'université de
Montpellier. Dans le dernier hors-série des Cahiers Pédagogiques,
le chercheur avance que « toutes les recherches en éducation
montrent que la pratique du redoublement est inefficace »
et met en exergue deux « freins rédhibitoires »
aux apprentissages. « Être stigmatisé sur ses difficultés
et ne pas pouvoir suivre ses camarades participent au développement
du sentiment d’incompétence qui est source de décrochage,
estime-t-il. De plus, refaire de la même façon ce que l’on
n’est pas parvenu à apprendre une première fois est un piètre
choix pédagogique. Le cerveau ne fonctionne pas tel une clé USB
pour qui un enregistrement défectueux peut se résoudre par une
nouvelle tentative. »
Des propos qui font échos
à ce qu'écrivait le psycho-pédagogue Marcel Crahay dans la Revue
française de pédagogie : « Le décalage d’âge
avec les autres élèves de la classe va entraîner tout au long de
la scolarité des réactions négatives de la part des redoublants,
fondées sur une détérioration de l’estime de soi. À compétences
égales en fin de CM2, les élèves en retard révèlent davantage de
comportements subis. » Et pour parachever cette critique du
redoublement, Sylvain Connac s'appuie sur les statistiques du
ministère de l'Éducation nationale pour dire que cette pratique
est très onéreuse : 6.120 € pour un élève en élémentaire
et 8.410 € pour un collégien. « En 2015, rien que pour
les redoublants du CP, c’est à 100 millions d’euros que
s’élèvent ces dépenses supplémentaires inefficaces »,
fulmine-t-il.
Le redoublement a toujours la cote
Face à ce discours
alarmiste, le ministre reste droit dans ses bottes. « Il y a
quelque chose d'absurde à laisser passer de classe en classe des
élèves accumulant les retards, justifiait-il dans une interview
donnée au Parisien le 8 juin dernier. Le redoublement doit rester
possible quand c'est dans l'intérêt de l'élève. L'autoriser à
nouveau, ce n'est pas un virage absolu mais c'est une inflexion
importante. » Une prise de position qui a été accueillie
avec bienveillance par plusieurs syndicats étudiants. Au lendemain
de cette annonce, le SNALC et le SNE se sont fendus d'un communiqué
en commun pour dire qu'ils « partagent le point de vue du
ministre ». « Le redoublement n'est ni une
panacée, ni le diable. Cela doit être étudié au cas par cas, et
faire partie d'une boîte à outils plus large. (…) Il faut faire
comprendre aux élèves qu'on ne passe pas dans la classe supérieure
sans travailler. »
Du côté des
professeurs, le redoublement reste majoritairement perçu comme une
pratique utile. Selon les études menées par le sociologue Hugues
Draelants, 78% des enseignants du secondaire estiment que le
redoublement est une mesure nécessaire. Mais celui-ci ne fait pas
l'unanimité uniquement auprès des professeurs. En 2014, à
l'occasion d'une enquête réalisée par l'Ifop, il ressortait que
68% des Français étaient opposés à l'abandon du redoublement.
L'institut y voyait le « signe que cette pratique est
fortement ancrée dans la représentation que les Français ont de
l’école. » Enfin, en 2015, le CNESCO avait interrogé
plus de 5.500 collégiens et lycéens issus d'une soixantaine
d'établissements différents. Résultat : 80% voient dans le
redoublement une « seconde chance » et 73% le
jugent « utile ». Quant aux redoublants
interrogés, 67% déclarent s'être plus investis dans
leur travail l’année de leur redoublement, et 71%
affirment avoir eu de meilleurs résultats l'année redoublée.
Le débat autour de la
question du redoublement marque donc assez nettement une opposition
entre les gens du sérail et les chercheurs, les premiers n'hésitant
pas à qualifier les seconds de « pédagogistes »
et à pointer du doigt leur « déconnexion du terrain ».
Un clivage que Hugues Draelants appelle à dépasser : « Plutôt
que de se livrer à une opposition stérile entre les savoirs experts
et les savoirs de terrain, il faut prendre au sérieux les
résistances exprimées par les enseignants. Elles sont un signe que
les acteurs scolaires locaux ne veulent pas être réduits à de
simples destinataires de la politique d’éducation. » La
volonté affichée par le gouvernement d'accorder plus d'autonomie aux
établissements permettra peut-être d'aller dans ce sens...
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